Cela pourrait être l’histoire merveilleuse d’une famille de milliardaires fabuleux qui s’abandonne aux délices d’une croisière idyllique sur un yacht magnifique. Mais comme ce beau bateau tient aussi du pétrolier – ses soutes sont pleines de « pétroles bruts », gardés par des rangers. Ses passagers, les capitaines Schelle, Eçço et Elfe, leurs épouses et maîtresses, et leur mère à tous Démocratia Totale Totale, victimes de la verve d’un poète à l’imagination débridée et succombant à la révolte des « pétroles bruts », apparaissent comme les tenants dérisoires d’un monde en décrépitude.
 
 

 

           « Avant tout, cette pièce est une pièce qui dit la connivence. Et ainsi a-t-elle été reçue. Si on la lit dans l’instant, dans ce qu’on nomme  « l’air du temps », elle garde, pris en elle, les rires parfois féroces, toujours juvéniles, du temps de 1968 en France. Mais à plus long terme une autre lecture, celle-là inquiétante, présageant de terribles catastrophes, s’impose. Plus que jamais le navire-pétrolier (le yacht-pétrolier) dérive. A la seule différence que les enfants des pétroliers ont réintégré le pont du Biâfreur et que, jusqu’à nouvel n’ordre, ils souhaiteraient vaillamment prendre la relève, mais…

 

 

          Cette pièce est une allégorie. Tous les personnages sont allégoriques. L’action, le lieu, le temps de l’action en ce non-lieu relèvent de l’allégorie. Nul réalisme, nuls cris ne doivent marquer, charger, dévier ce qui doit rester le plus près possible de la synthèse, de la machine vivante et mathématique du travail dramatique froid qu’impose le « trop » qu’on trouvera dans cet écrit. »

Rezvani, 1994
 
REZVANI est peintre, poète, romancier et auteur dramatique français d’origine iranienne né en 1928.
 
 
Déposition du valet Slavos 

« J’ai appartenu douze ans à la maison de Monsieur et Madame. Imaginez si je les connais ! Je suis masseur-kinésithérapeute-valet-secrétaire tout particulièrement affecté au service des madames du navire. Je n’aurais jamais fait cette confession si je n’avais été instamment prié par monsieur Schelle et si surtout je n’avais été indigné par tous les bas ragots qui ont circulé et circulent encore sur la mort prématurée de notre regrettée patronne. Le couple Schelle connaissait des heures enchantées dans ses appartements du Biâfreur, plus somptueux que les plus somptueuses demeures princières. Du moins quand Monsieur était là car depuis la tragique… comment dire ? la dramatique désertion des enfants du navire, Monsieur se terrait dans les coins les plus reculées du Biâfreur, ne voyant plus de raison à ses entreprises. Et pendant ce temps, Madame s’ennuyait à mourir. Elle cherchait alors à se distraire et je mentirais si je ne disais pas que je la massais de mon mieux. Et il fallait que je masse, je masse, je masse Madame. Ah ! tout ça n’était pas gai-gai, comme quoi l’argent ne fait pas que les délices des Crésus. Lorsque la tragédie est survenue, il faisait un bien triste décembre en son âme et Madame écrasée par ce spleen avait fait demander à sa belle-sœur la présidente Koukie ainsi qu’à sa belle-maman madame Démocratia Totale Totale et à moi-même soussigné Slavos de lui tenir compagnie. Ce soir-là Madame était d’une nervosité incroyable, pleurant amèrement ses enfants. Du faux pont montait le rire de cette autre pauvre Madame, je veux parler de Généria Motors…Ah que madame fut heureuse lorsque Monsieur revint ! 

Malheureusement une révolte éclatait au même moment dans les cales 23 et 80. Cette révolte mit en ébullition notre chargement de pétrole brut et Monsieur dut hélas aller lui-même mater manuellement les insurgés avec les rangers. La pauvre Madame ne put rien avaler tant elle se sentait angoissée. Ayant peur de ne pouvoir dormir elle avalait machinalement somnifère sur barbiturique pendant que monsieur racontait avec enjouement comment les choses s’étaient passé dans les cales et comment les rangers avaient réussi à maîtriser la révolte de nos pétroles bruts. Trop occupé par ce qu’il racontait, Monsieur ne s’aperçut de rien. L’autopsie devait révéler l’énorme quantité de barbituriques ainsi absorbéeCe n’est qu’en entendant le bruit lourd d’un corps tombant sur le plancher que Monsieur réagit. Sa femme venait de s’affaisser, victime d’un très grave étourdissement, prélude à l’issue fatale. Il m’appela. J’accourus. Je trouvai Madame affreusement pâle et gémissante. J’aide Monsieur à la transporter dans sa chambre. Aussitôt c’est le branle-bas à bord du biâfreur. La présidente Koukie, madame Démocratia Totale Totale, les frères de Monsieur, capitaine Eçço, capitaine Elfe, bref tout le monde s’agite. Ne sachant trop que faire Monsieur réclame un verre de whisky et entrouvre les lèvres de son épouse qui se débat. Nous essayons tous de la retenir mais hélas voilà que Madame glisse et que son front bute contre la table de nuit. Affolé Monsieur s’écrit : Faites appeler d’urgence un médecin ! Oubliant que nous dérivons et que les enfants nous ont tout saccagé en partant, ne laissant ni balise, ni radio, ni rien sur ce maudit navire. Et sans attendre Monsieur essaye de ranimer Madame avec la méthode classique des gifles. Mais en vain, Madame ne revint pas à elle et les rangers appelés d’urgence ne purent que constater le décès, accidentel. »

 

Œil pour œil

          "Qu'est-ce que ça peut nous foutre à nous autres puisque c'est leur Terre, leur Lune, leur Soleil, leur Océan… Ils nous ont dépossédés de tout, ils nous ont volé le temps, les éléments, et même les beautés naturelles, ils nous ont mis à gauche, ils nous ont plus maltraités que les derniers de leurs animaux, ils nous ont dévorés jour après jour, morceau après morceau. Aujourd'hui il nous faut réunir tous nos frères, rien ne sert d'attendre, rien ne sert d'être doux et humbles et coopératifs, seuls les forts ont droit à ce monde. Que la longue leçon nous serve aujourd'hui. Que l'idée de violence entrée dans nos tête à la force du fouet resurgisse encore plus violente avec usure et intérêt !"

 

 

Capitaine Elfe

 

          " Ah pauvre âme errante, pauvre Démocratia Totale Totale. Sur ce navire perdu parmi les ombres, elle pleure et se lamente. L'avenir est mort comme est mort notre passé. Nous sommes destinés à voguer sur cette mer sans fin jusqu'à ce que nous trébuchions et tombions sous le poids de nos cheveux blancs.
Adieu rires frais de la jeunesse, plus de consolation. Maudits par nos enfants, reniés, haïs, nous n'en finirons pas de mourir. Adieu, nous n'avons plus de descendance…"

Textes tirés de "Capitaine Schelle, capitaine Eçço" de Rezvani (Editions ACTES SUD)

FICHE TECHNIQUE

ACCUEIL

 
Décors 
Claude DIVANACH 
Création Lumières
Erwan CLOAREC

Nono QUENEA

Affiche 
Nathalie PETIT-GUDENCHET 
Avec les participations de 
Thomas CLOAREC

Léna PERROT

Elisa OHAYON

Bruno QUENEA

David CALVEZ 
REMERCIEMENTS
Ville de Brest

Conseil Général du Finistère

CROUS

UBO

La Ferme Jestin

Cie FALTAZI 
 
Mise en scène 
Lionel JAFFRES 
Capitaine Elfe

Capitaine Eçço

Capitaine Schelle

Généria Motors

Ranger Johny

Ranger n'Harold, Koukie

Intendante

Œil pour œil

Eureka

Everyday, Slavos

 

Cavalcantopoulos 

Thierry CLOATRE

Claude DIVANACH

Thierry LAGADEC

Anne GALLOU-MARTIN

Romuald JAFFRENNOU

Laêtitia MENTEC

Sylvia JEZEQUEL

Manu MONFORT, Erwan CLOAREC

Yseult LEBRUN

Fanch THOUEMENT, Jean-Yves  POCHARD

 

Marina THOUEMENT