NOS AUTEURS

REZVANI
FASSBINDER
PETER HANDKE
ARRABAL


 

Serge Rezvani 


          Né en 1928 en Iran, de père persan et de mère russe, a toujours vécu en France. Peintre, auteur de chansons sous le nom de Bassiak (a écrit pour Jeanne Moreau notamment), il s’est tourné, en 1966, vers le roman pour donner les « années lumières » et les « années Lula » (chez Flammarion) puis « La voie de l’Amérique », « Coma », « Les américanoïaques », ainsi que les pièces « Body », « L’immobile et le cerveau ». Sa première pièce, « Le rémora », a obtenu le grand prix de l’humour noir 1971. Capitaine Schelle & capitaine Eçço, avec le « Camp du drap d’or » et « La colonie », participe d’une « mise en accusation » par le théâtre.

         « La poésie de Rezvani s’ouvre au monde de façon polémique et vivante : il nomme les choses par leur nom. La violence du monde n’est pas chez lui le résultat d’une barbarie infuse, mais l’arme concrète par laquelle une société déjà morte se maintient en selles contre vents et marées. »

Jean-Pierre Vincent

            « En ne livrant dans mes livres que des réponses incomplètes, je fais appel à l’autre, au lecteur. Je parie sur sa liberté. Je lutte contre le monde des images – il y a trop d’images qui tuent l’imagination – pour que le lecteur entre dans l’univers de l’énigme, celui où renaît l’imagination. » Rezvani

 

 

 

Rainer Werner Fassbinder (1945-82)
       Dramaturge et cinéaste allemand

 

       L’œuvre théâtrale et cinématographique de Fassbinder est probablement l’une des plus aiguës et des plus subversives que comptent l’Allemagne de l’après nazisme et l’Europe de l’après 1968. Elle est fondée sur l’exploration du fascisme ordinaire, l’aliénation féminine, la discrimination raciale et culturelle, les tabous sexuels, sur la différence et  l’exclusion.

       C ‘est de 1967 à 1971, avec l’Antithéâtre né en 1968 et l’Action Théâtre, que Fassbinder réalise la quasi-totalité de son travail théâtral, soit huit adaptations et huit pièces. De 1971 à sa mort, le cinéma deviendra son activité principale, avec notamment  « Le bouc », « Le marchand des quatre saisons » (1971), « Les larmes amères de Petra Von Kant » (1972), « Tous les autres s’appellent Ali »   (1973), « Effi Briest » (1974), « Le mariage de Maria Braun », « L’année des treize lunes » (1978) et « Querelle » (1982), d’après « Querelles de Brest » de Jean Genet.

 

 

       Si la violence se projette, par exemple sur le travailleur étranger dans « Le bouc », c’est qu’en réalité, elle circule sourdement au sein même du groupe majoritaire, non comme un événement dramatique, mais comme un système de nuisances réciproques, affluant à travers un langage machinique.

        Éprouver la validité du sentiment humain à travers les retournements théâtraux, telle est la stratégie de Fassbinder, un moraliste en fin de compte, espérant que le courage de formuler l’angoisse est déjà celui de vivre autrement.

 

 

 

PETER HANDKE (Griffen 1942)

 

 

       Romancier et auteur dramatique autrichien. Après des études de droit à Graz, il écrit pour le théâtre jusqu'en 1973:

 

 
Premières pièces parlées (Sprechstücke, 1965)
 
Outrage au public (Publikumsbeschimpfung, 1966)
 
Gaspard (Kaspar, 1967)
 
Le pupille veut être tuteur (Das Mündel will Vortnund sein, 1969)
 
la Chevauchée sur le lac de Constance (Der Ritt über den Bodensee, 1970)
 
Les gens déraisonnables sont en voie de disparition (Die Unvernünftigen sterben aus, 1973).

       Ensuite Handke semble se détourner de l'écriture dramatique, notamment pendant son deuxième séjour en France (1973-1979).

       Il ne reviendra au théâtre qu'en 1982 avec Par les villages (Cfber die Dôrfer, créé par Wim Wenders). Depuis il a donné une traduction du Prométhée enchaîné au festival de Salzbourg en 1986 qui sera suivie par deux textes importants : en 1989 l'Ati de la question ou Voyage au pays sonore (Das Spiel vom Fragen oder die Reise zum sonorem Land) et, en 1992, L'heure où nous ne savions rien l'un de l'autre (Die Stunde da wir nichts von einander wussten).

Le théâtre réinventé

       " Jamais je n'aurais pensé que j'écrirais des pièces de théâtre. Le théâtre tel qu'il existait était pour moi un reliquat d'un temps passé. Même Beckett et Brecht n'avaient rien à voir avec moi ", écrivit Handke dans un texte théorique, Ich bin ein Bewohner des Elfenbeinturms (Je suis un habitué de la tour d'ivoire). Tout son théâtre est dans ce refus d'un héritage, cette critique du théâtre et du spectacle traditionnel, c'est-à-dire du théâtre mimétique, fonctionnant à la fable. Le théâtre est à réinventer. Et le théâtre est d'abord affaire de langage ; ici l'attitude de Handke dramaturge est bien la même que celle du romancier quand, dès 1966 à Princeton, il s'opposait au réalisme du groupe 47 : " On méconnaît, en effet, que la littérature est faite avec la langue, et non avec les objets décrits par la langue. " La langue, telle que l'utilise le réalisme, ne sert pas à dévoiler la réalité mais plutôt à l'occulter. Réinventer le théâtre, c'est d'abord refuser de raconter une histoire, de jouer une fable:

" ce soir on ne joue pas… Vous ne vous attendiez quand même pas à une histoire " (Outrage au public) ;

de la même manière, dans Le pupille veut être tuteur, il n'y a pas de dialogues. C'est une pièce muette, un acte sans paroles, le théâtre ne fait que décrire ; ici c'est le texte du narrateur/auteur qui est théâtre. Il s'agit de se demander ce que c'est que parler à ou devant les gens : " Nous faisons du théâtre parce que nous parlons sur une scène " (Outrage au public). Les acteurs s'adressent au public, trichent parce qu'ils ne veulent pas jouer le jeu illusionniste du théâtre. Le théâtre de Handke tente d'épuiser cette question : qu'est-ce que parler ? Ainsi les pièces parlées utiliseront le langage naturel de l'insulte, de l'introspection, de l'aveu, de l'affirmation, de l'interrogation, de la justification, de la dissimulation, de la prédiction, du cri de détresse. Mais parler c'est aussi avoir du mal à parler, c'est être obligé de réinventer la parole. C'est le thème de Gaspard, compliqué de l'idée que le langage est une torture : on fait parler Gaspard. L'acte de parler est lié à la culpabilité ; pour Handke, il n'y a pas de parole innocente.

Une poésie de théâtre

       La Chevauchée sur le lac de Constance va plus loin: le théâtre conventionnel est une fois de plus bafoué : les acteurs ne sont pas personnages ; ils sont eux-mêmes pris dans une longue conversation, à la recherche, par les moyens de la langue, de ce qu'ils sont, de quoi leur vie est faite. Vains efforts ; une muette apportera le saisissement final, en leur faisant comprendre qu'ils étaient déjà tous morts.

       Les gens déraisonnables sont disparition continue cette enquête: en parlant, personne ne parvient à s'en tenir à son sujet; quelque chose échappe toujours, dérape. Avec leurs mots, les personnages se prennent, pour ainsi dire, à leur propre dépourvu. La parole doit rendre visible (nous sommes au théâtre) ce qui est perdu, faire "revenir" ce qui était oublié, enfoui sous le quotidien. C'est avec ce projet que renouera Handke dans Par les villages, pièce où le théâtre se fait " poème dramatique " : tournant le dos à tout théâtre du quotidien, Handke donne à des ouvriers dans un chantier de village ce luxe d'une parole poétique qui, sous la banalité, invente une autre façon de dire et de sentir, une autre façon de vivre.

       Ses deux derniers textes poursuivent ce qu'on pourrait appeler les " investigations théâtrales " de Handke par allusion aux Investigations philosophiques de Wittgenstein, dont le nom ne vient pas par hasard à l'esprit : en effet, dans l'Art de la question ou Voyage au pays sonore, au dialogue traditionnel et fondateur du théâtre est substitué un jeu de questions (un art ?) auquel se soumettent et sont soumis les personnages. Pas étonnant non plus de trouver parmi eux la figure de Perceval, l'homme qui ne pose pas de question, qui n'a pas posé la question.
       En face de cette recherche qui est questionnement du langage au théâtre, et comme symétriquement à elle, l'Heure où nous ne savions rien l'un de l'autre réfléchit non plus au langage au théâtre, mais, comme le sous-titre l'indique, à ce qu'est le " spectacle " : le texte est une immense didascalie qui, (s') étant donné un lieu, règle, de manière muette (insonore), la chorégraphie ou la pantomime des entrées et des sorties des personnages, répondant ainsi à la question, peut-être la seule du théâtre : qu'est-ce qu'on peut faire sur une scène entre une entrée et une sortie?

Dossier Art Press, n, 69, avril 1983; G.-A. Goldschmidt, Peter Handke, Seuil, Paris, 1988.

 

 

 

FERNANDO ARRABAL (Melilla 1932).

 

 

 

       Ecrivain espagnol d'expression française, romancier, cinéaste et auteur dramatique. Une jeunesse marquée par la condamnation à mort de son père durant la guerre civile, un séjour en sanatorium au lendemain d'une adolescence chaotique expliquent sans doute en partie le goût du scandale et de la dérision qui parcourt l'abondante production dramatique d'Arrabal (dix-sept volumes parus).
       Cela donne un univers peuplé de personnages tour à tour bourreaux et victimes, délibérément contradictoires dans leurs motivations étranges comme dans leurs actes imprévisibles. Sado-masochisme, perversions sexuelles (le jardin des délices, 1969), nécrophilie (Oraison), blasphème sont les thèmes récurrents d'une oeuvre souvent répétitive qui, dans les pèces plus récentes, tourne à la provocation systématique (le Ciel et la Merde, 1972).

 

       Arrabal ne respecte rien, ni le mythe de la guerre, ni même les victimes du fascisme (Guernica). Satirique jusqu'à la caricature, il s'en prend à l'Eglise et à l'armée et la dimension politique de son oeuvre depuis mai 68 fait flèche de tout bois en un syncrétisme douteux (Bella Ciao, la guerre de mille ans en 1972, l'Aurore rouge et noire).
       Arrabal entasse fantasme sur fantasme avec une sorte d'application scolaire qui ferait douter de sa lucidité s'il n'y avait, à force de démesure, comme une sorte d'invitation pour le spectateur à tourner en dérision les thèmes traités; à condition de donner à ce mot de dérision son sens le plus fort: vision outrancière - surréalisme si l'on préfère - du monde, propre à en démasquer l'inanité, les mensonges et les laideurs mais aussi les secrètes beautés.

 

       Car le monde d'Arrabal a sa logique et sa clarté: logique faite de conciliation des contraires (n'est-ce pas une définition de la poésie?) et d'un acharnement philosophique à percer le mystère de l'être (l'Architecte): clarté qui apparaît, comme en négatif, dans l'apologie discrète de la bonté et dans la recherche d'un rituel qui, par-delà les gestes de la profanation et de la violence, autoriserait l'épiphanie du sacré et la naissance d'une sainteté de l'inocence (Fando et Lis). Qu'Arrabal cherche sa voie, un peu comme Sade, dans l'inversion des signes, ce n'est pas douteux mais, à la différence de Sade, Arrabal est un baroque, un généreux qui ne s'embarrasse pas de ratiociner et procède par pulsions, dans l'indifférence totale de la hiérarchie des valeurs et des critères de goût.

 

       Néanmoins, en poète, Arrabal apporte un soin extrème à charpenter ses pièces selon des structures empruntant à la géométrie, aux mathématiques et au jeu d'échecs: c'est sa part de fantastisque scientifique à la Marcel Duchamp. D'autre part, rêvant d'une représentation théâtrale comme cérémonie (Arrabal fonde en 1962 le Mouvement "panique" avec Jodorowsky, Topor, Sternberg) au cours de laquelle un même rite cruel rassemblerait acteurs et spectateurs, influencé de plus par le happening, mais un happening d'une espèce particulière, l'"éphémère", "sorte d'auto sacramental entièrement répété", Arrabal s'inscrit dans la postérité d'Artaud et met en oeuvre un spectacle total qui impose une ordonnance rigoureuse à la profusion dionysiaque.

 

       Infantile et visionnaire, révolutionnaire et fétichiste, pétri d'onirisme facile et de rigueur mathématique, Arrabal est un carrefour de contradictions. Carrefour très fréquenté durant la décennie 1965-1975 (trois créations de lui dans la saison 1969-1970), beaucoup moins actuellement. La dernière création science-fictionnelle, d'Arrabal, la Traversée de l'empire en 1988 ne lui a pas redonné la faveur du public.

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